Est-il possible de concilier emploi stable et actions en faveur de l’environnement ? C’est une question que se posent de plus en plus de cadres, qui ne mettent plus nécessairement le confort financier au centre de leurs priorités. Certains passent à l’action, en entamant un parcours de reconversion professionnelle afin d’exercer une activité liée à la transition écologique. Selon une étude de France compétences publiée en ce début d’année 2022, la perte de sens dans son travail constitue la raison la plus partagée des actifs en reconversion, 27% d’entre eux l’évoquant. Ainsi, les cadres souhaitant changer de métier ou d’entreprise pour agir en faveur de l’environnement sont chaque année plus nombreux. D’autant que le secteur offre de bonnes perspectives d’emploi. “Il y a énormément de domaines d’activité qui sont en train de bouger, avance Laura Genevois, fondatrice et présidente de Mon job de sens. Par exemple, le secteur du bâtiment durable se développe grandement et de plus en plus de formations se créent.” L’habitat, la rénovation, la question de l’économie d’énergie ou encore les métiers autour de l’assainissement de l’eau sont autant de domaines considérés comme des secteurs d’avenir.
A travers Mon job de sens, une organisation d’utilité sociale qui propose un bilan de compétences dédié à l'emploi dans la transition écologique et solidaire, Laura Genevois s’adresse à tous les actifs souhaitant s’engager en faveur de la planète mais n’ayant pas encore identifié le poste qu’ils pourraient exercer. “Beaucoup viennent à nous par rapport à l’urgence climatique et écologique, et souhaitent exercer une profession ayant un vrai impact sur l’environnement”, détaille la formatrice. Le parcours dure trois mois à raison d’un rendez-vous par semaine, pouvant prendre la forme d’un entretien individuel, d’un coaching collectif ou d’une formation sur un sujet précis, notamment pour découvrir les différents acteurs du domaine environnemental. “On ouvre ainsi des pistes vers des structures publiques, privées ou associatives qui pourraient convenir aux participants”, explique Laura Genevois. Capital a échangé avec Bertrand, Marc, Clémentine et Nelsina, quatre anciens cadres passés par Mon job de sens avant de changer de vie. Voici leur parcours, les grandes étapes qu’ils ont traversées et les conséquences de leur virage professionnel sur leur quotidien.
Un “déclic” pour changer de vie
Le désir de s’engager pour l’environnement peut survenir au terme d’une longue réflexion autour de la question environnementale, ou faire l’objet d’un déclic suite à une prise de conscience des enjeux climatiques. Bertrand, un ancien ingénieur dans l’industrie manufacturière, pétrole et nucléaire de 37 ans, en a fait l’expérience à son retour en France après cinq ans passés au Québec : “j’ai eu une grosse claque écologique après avoir suivi les conférences de Jean-Marc Jancovici, qui propose un cours aux mines de Paris pour les ingénieurs. Il explique toute la problématique de l’énergie et du climat, vers où le monde va et ce qu’il faut faire pour changer les choses.” Chez Marc, ingénieur dans le marketing pour une multinationale durant vingt ans, l’envie de se reconvertir dans un métier durable s’est étalée sur un temps long. Pendant sept ans, l’ancien ingénieur s’est mis en temps partiel pour pouvoir s’engager dans une association en faveur de l’agriculture biologique et de l’énergie. “Le grand écart entre la partie professionnelle dans le marketing, qui revient à consommer plus et pas forcément mieux, et le fait de vouloir verdir l’économie était de plus en plus difficile à tenir”, relate Marc. La perspective de la reconversion s'est également effectuée progressivement pour Clémentine, 30 ans, qui faisait de l’audit interne dans un grand groupe depuis sa sortie d’école de commerce. “J’aimais mon métier, mais très rapidement s'est posée la question du sens. J’avais toute cette dimension personnelle environnementale qui prenait de plus en plus de place dans ma vie quotidienne, j'étais notamment bénévole chez Zéro Waste France.” Un engagement qui est finalement devenu une priorité, et qui l’a poussé à entamer sa reconversion professionnelle.
Faire le point pour savoir vers où aller
Une fois le déclic survenu se pose la question de l’orientation. Comme après le passage du baccalauréat, il faut trouver une voie vers laquelle se diriger. Mais contrairement à l'époque du lycée, les cadres en reconversion ont acquis une plus ou moins longue expérience professionnelle, ont développé des compétences et confirmé certains talents. Il peut alors s’avérer utile d’effectuer un bilan de compétences afin de faire le point et de prendre du recul sur ses capacités et aspirations. “La première étape est de se poser les bonnes questions, car il y a une infinie possibilité dans les métiers verts”, conseille Laura Genevois. La personne doit clarifier d’un côté ce qui lui convient dans la situation actuelle, et de l’autre se demander ce qui doit vraiment changer.”
Les personnes qui n’arrivent pas à se poser ces questions seules peuvent avoir besoin d’être guidées. Bertrand, comme les autres cadres interrogés, s’est dirigé vers Mon job de sens pour être accompagné dans ce moment crucial. “J’avais déjà fait des bilans de compétence par le passé mais je voyais qu’il manquait quelque chose dans la démarche, ça n'allait pas assez en profondeur. Avec ma prise de conscience écologique, je cherchais un travail qui ait du sens.” Clémentine, de son côté, savait qu’elle souhaitait travailler dans le domaine du zéro déchet et de l’environnement au sens large, mais ne parvenait pas à cibler un métier en particulier. “Avec la pression familiale qui me faisait douter du fait de quitter mon emploi et le greenwashing très présent dans la société, j’étais parfois perdue. Je me suis dit qu’il fallait que je prenne mon temps et que je sois accompagnée.”
Clémentine a ainsi intégré Mon job de sens, coaching qui l’a aidé à cibler qui elle était, de quoi elle avait réellement envie et ce dont la société et les entreprises avaient besoin. “Cet accompagnement m’a beaucoup aiguillée dans une période où je doutais de moi et avais du mal à oser”, se souvient Clémentine. De son côté, Nelsina, 43 ans, a trouvé sa voie durant son coaching. Au fil des ateliers organisés chaque semaine par Mon job de sens, elle s’est rendue compte qu’elle voulait devenir “facilitatrice de la transition écologique”, c’est-à-dire apporter un accompagnement sous un certain format pour que les particuliers ou entreprises engagent une transition écologique. “J’ai eu comme une révélation, cela coulait de source”, assure cette ancienne gestionnaire de projet au sein de la filière qualité de Carrefour.
Le moment du changement
Après avoir dressé un bilan de leurs envies et compétences et fixé un cap, vient le moment de passer à l’action. Au fur et à mesure de son coaching chez Mon job de sens, Bertrand s’est rendu compte de son besoin d’autonomie et a décidé de se lancer dans l'entrepreneuriat. Il a conservé son statut d’ingénieur, mais cette fois pour servir la planète au travers de la réalisation de bilan carbone pour les entreprises. Le réseau professionnel qu’il a construit au fil de sa carrière, notamment du côté des PME (petites et moyennes entreprises), lui a été d’une grande aide au lancement de son projet. Et le pari est réussi. “Sur ma première année d'activité, j’ai réussi à faire un salaire comme si j’étais en CDI dans une entreprise.” Non seulement le fait de se mettre à son compte n’a pas entraîné une baisse de ses revenus, mais Bertrand est aujourd’hui épanoui : “En tant qu’ingénieur, je voulais que mes actions aient de l’impact. Je me rends compte que j’en ai aujourd’hui, que je fais ouvrir les yeux à des gens qui ne connaissent pas le sujet et qui ont envie de changer leur business modèle pour se rendre plus résilient avec le monde de demain.” Pour Nelsina, le virage s’est amorcé grâce à une opportunité. “Un couple d’amis m'a dit qu’il quittait la région pour s’installer dans une ferme pédagogique, afin de créer une association”, raconte-t-elle. Cette association “agit en faveur de la reconnexion des humains à la terre, à la nature et à la ruralité”. Elle a commencé chez eux en tant que bénévole et n’est pas repartie. Aujourd’hui, elle travaille sur le volet communication et animation de l’association.
Pour Marc, il s’agissait d’oser réaliser un projet qui l’avait animé dix ans plus tôt. “Je voulais mettre en œuvre des actions concrètes pour permettre d’aider les particuliers à réduire leur consommation d’énergie et augmenter leur bien-être dans leur logement”, relate l’ancien ingénieur. Il prend alors la décision de quitter son emploi et de commencer une nouvelle aventure en tant que thermicien dans une CAE (coopérative d’activité et d’emploi). Il réalise des audits de logement, en maison individuelle ou en collectif et est également formateur au sein de la structure de Dorémi Rénovation, pour former les artisans à la rénovation complète et performante. Clémentine, de son côté, a misé sur l’audace, en postulant au SMICVAL (syndicat mixte intercommunal de collecte et de valorisation des déchets du Libournais Haute Gironde), alors qu’elle n’avait aucune expérience dans le secteur. La motivation de Clémentine a fini par payer : elle pilote désormais un certain nombre de communes engagées dans une démarche de réduction des déchets. Elle s’occupe également du sujet de la réduction du plastique à usage unique dans l’ensemble du territoire.
La formation, un passage obligatoire ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est pas indispensable de passer par l’étape formation dans le cadre d’une reconversion professionnelle dans les métiers durables. Laura Genevois en atteste : “on accueille beaucoup de personnes ayant un syndrome de l’imposteur ; comme elles changent de secteur, elles se disent qu'elles ne peuvent pas y arriver et que la formation va les aider. Elles pensent que les formations les plus grandes, les plus longues et les plus chères vont leur donner de la légitimité.” Pourtant, selon la fondatrice de Mon job de sens, la formation représente parfois une perte de temps et d’argent. “Par exemple, quelqu’un qui a vendu des aspirateurs toute sa vie et qui se reconvertit dans la rénovation énergétique des bâtiments va pouvoir utiliser son talent commercial. La partie théorique sera apprise sur place.” Il est en revanche parfois nécessaire de suivre une formation lorsque la reconversion implique un changement de métier et requiert la maîtrise de certains outils. C’est le cas de Marc, qui a découvert les fondamentaux du bâtiment durable par le biais de Mooc (Massive open online course), des cours en ligne disponibles gratuitement sur Internet, avant de suivre diverses formations pour acquérir des connaissances sur la partie diagnostic et audit. Mais Marc en est conscient : il a encore beaucoup à apprendre, et continuera de se former tout au long de sa carrière : “La suite de la formation a été d’apprendre auprès de mes collègues et de m’auto-former. Il y a des choses dans tous les sens, les notions changent constamment. Par exemple, le diagnostic de performance énergétique a été modifié l’année dernière.”
Clémentine, en revanche, n’a pas eu besoin de suivre une formation avant d’intégrer le syndicat, bien qu’elle ne maîtrisait pas techniquement le domaine de la gestion des déchets. C’est au sein même de sa structure actuelle qu’elle se forme. “J’ai eu tout un temps d'acculturation, de formation en interne. Je réalise aussi beaucoup de formation continue. J’apprends encore tous les jours après trois ans d’exercice”, détaille la jeune femme. Même démarche pour Bertrand, qui s’est lancé sans formation préalable. “Certaines personnes commencent à se former, à faire un site internet, et réussissent à trouver une mission quatre ou cinq mois après. De mon côté, j'ai fait l’inverse : j’ai d’abord trouvé des clients. Ma première approche était de les aider à faire leur bilan carbone sans compétence supplémentaire, ils payaient simplement l’honoraire d'un ingénieur.” Au fur et à mesure de l’année et de ses missions, Bertrand a fait une formation courte sur le bilan carbone et s'apprête à effectuer une nouvelle formation plus poussée pour faire changer les modèles d'entreprises.
Les bénéfices de leur nouvelle vie
Tous sont unanimes : ils sont bien plus épanouis désormais. Bertrand apprécie son nouvel équilibre entre vie professionnelle et personnelle, et ne s’imagine pas retourner à un poste en CDI avec des horaires de cadre. Il peut désormais travailler seulement la moitié de la journée et dédier son après-midi à des missions de bénévolat, en accompagnant des entreprises qui n'ont pas les moyens de payer des consultants pour faire évoluer leur modèle. “Je sais ce qu’il me faut comme salaire et j’ai pas comme ambition de chercher à faire plus. Je prône la sobriété donc je ne peux pas chercher à faire un salaire à 200.000 euros.” Clémentine, elle aussi, ne retournerait pour rien au monde à son ancienne vie. “Je n’ai aucun regret, je sais pourquoi je me lève chaque matin. J'adore mon métier et je ne me vois pas faire autre chose tant l’urgence est telle au niveau climatique.” Et bien qu’elle ait légèrement perdu en termes de pouvoir d’achat, elle affirme avoir gagné en qualité de vie. Marc, de son côté, conseille aux cadres souhaitant se lancer de ne pas hésiter, et de ne pas appréhender le moment d’instabilité entre le départ de l’ancien poste et l’intégration au nouveau. “J’ai ouvert des portes au fur et à mesure, et c’est comme ça que je conseille de faire : suivre un objectif et y aller par étapes en se fixant des échéances à court terme.” Faire régulièrement le point sur son parcours, apprendre continuellement et ne pas avoir peur de se lancer, tels sont les adages de l’ancien ingénieur.
Source : Capital, Philippine Ramognino, 8 février 2022.
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